La bergère


Arrangement : Xavier Hubaut 


L'illustration est extraite de
Chansons Cochonnes
Chansons estudiantines traditionnelles adaptées
en bandes dessinées par L-M CARPENTIER - MALIK -
JIDÉHEM - KOX couleurs LAURENT album 48 pages
cartonné couleur format 22-29cm
Editions Topgame


1. Il était un' bergère,
Et ron, et ron, petit patapon
D'humeur assez légère
Qui aimait les garçons, ron, ron,
Bien plus que ses moutons.

2. Un jour près d'un' rivière,...
Voyant son ami Pierre,
Ell' quitta son jupon,...
Et son p'tit pantalon.

3. Le garçon plein de fièvre,...
Se pourléchant les lèvres
S'approcha l'air fripon...
Pour têter son chaton.

4. La bergère peu sage...
Entr'ouvrit son corsage
En disant au garçon...
"Embrasse mes tétons."

5. Puis elle ouvrit les cuisses...
Afin que le garçon puisse
Caresser sans façon...
Le duvet d' son châton.

6. "Donne ta main" dit-elle...
J'aime la bagatelle
Caresse-le, sinon, sinon
Tu auras du bâton."

7. Il n'y mis pas la patte...
Il n'y mis pas la patte,
Il y mit le menton, l' cochon!
Il y mit le menton.

8. Et le long d' la rivière...
Retentit cett' prière:
"N'arrête pas, c'est bon, très bon,
Un' minette au châton, c'est bon,
Nous recommencerons."


Nous vous présentons la version donnée dans Chants et chansons populaires de la France , ouvrage paru en 1858.

Le succès et l'universalité de cette chanson se comprend mieux lorsque l'on sait que l'expression "laisser le chat aller au fromage" signifie "avoir perdu son pucelage".

Ci-dessous, nous reproduisons avec l'orthographe de l'époque, la chanson du XVIe siècle, ancêtre de notre "Bergère", publiée à Paris en 1543 par Alain Lotrian.

1. Quant j'estoye petite garse
Las ! que devint mon cotillon ?
Lon m'envoyoit garder les vaches
Au verd buisson, mon cotillon;
Danser sus mon buissonnet,
Las ! que devint mon cotillonnet ?


2. Lon m'envoyoit garder les vaches
Las ! que devint mon cotillon ?
Je n'allay pas garder les vaches
Au verd buisson, mon cotillon;
Danser sus mon buissonnet,
Las ! que devint mon cotillonnet ?


3. Je n'allay pas garder les vaches...
Je m'en allay jouer sur l'herbe...

4. Je m'en allay jouer sur l'herbe...
Et mon amy si me regarde...

5. Et mon amy si me regarde...
"Que fais-tu la mauvaise garse"...

6."Que fais-tu la mauvaise garse"...
Mon père avoit quatre vaches...

7. Mon père avoit quatre vaches...
Et ma mère vingt et quatre...

8.Et ma mère vingt et quatre...
Et je les meis en herbage...

9. Et je les meis en herbage...
"Ma fille mais que tu soys sage...

10. "Ma fille mais que tu soys sage...
Tu les auras en mariage"...

11. Tu les auras en mariage"...
"Mère n'y seray point sage...

12. "Mère n'y seray point sage...
Car j'ay perdu mon pucellage"...

13. Car j'ay perdu mon pucellage"...
A ung garson de village...

14. A ung garson de village...
Je l'ay baillé pour ung fromage...

15. Je l'ay baillé pour ung fromage...
Je le mis sur une table...

16. Je le mis sur une table...
Nostre chat vint le happe...

17. Nostre chat vint le happe...
Au chat au chat ta malle rage !...

18. Au chat au chat ta malle rage !..
Tu as mangé mon pucellage"...

Sous Louis XVI, les grands seigneurs et la reine Marie-Antoinette mirent à la mode l'élevage des moutons qu'ils ne dédaignaient pas de diriger eux-mêmes dans des bergeries bien proprettes.

C'est de cette époque que nous vient cette ronde, sous une version plus sage, faut-il le préciser.
Cette chanson était connue sous le titre "La bergère et son chat". En voici une version :

1. C'était une bergère,
Vive l'amour,
Qui gardait ses moutons,
Vive l'amour(e), ma brunette,
Qui gardait ses moutons,
Vive l'amour et ma chanson.

2. Son chat qui la regarde
D'un air(e) tout fripon.

3. "Si tu y mets la patte,
T'auras un coup d'bâton"

4. Il y mit point la patte,
Mais il y mit l'menton.

5. La bergère en colère
A tué son chaton.

6. Elle s'en fut en confesse
Vers l'curé du canton.

7. "Mon père je m'accuse
D'avoir tué mon chaton."

8. "Ma fille pour pénitence,
Nous nous embrasserons."

9. "La pénitence est douce,
Nous recommencerons."

Bien souvent on trouve la version enfantine augmentée d'un couplet, placé en 2e position, Elle fit un fromage du lait de ses moutons. Par contre les 4 derniers couplets sont "oubliés"; même quand ils sont présents, on remplace "Elle s'en fut en confesse vers l'curé du canton" par "Elle fut à son père lui demander pardon".


On retrouve le même thème en patois du Haut-Vivarais, sous le titre "Lou tsatou de lo vieilho", commençant par:

"Amou sur lo mountagno, lanla minou, y ayo t'uno meïjou.", ce qui se traduit par:

Là-haut sur la montagne, il y avait une maison.
Une pauvre vieille femme faisait son picodon (fromage).
Son petit chat la considérait de si bonne façon !
Il y posa sa petite patte, en emporta un petit morceau.
La pauvre vieille femme lui administra un coup de bâton.
La pauvre vieille femme avait tué son petit chat.
La pauvre vieille femme plaignit tant son petit chat !

Voici quelques précisions complémentaires données par un chercheur japonais de l'université d'Hiroshima.

En général, la genèse des paroles tels qu'on les connait aujourd'hui est associée très souvent à l'époque où Marie-Antoinette mit à la mode dans la Cour l'élevage des moutons et les travaux aux champs. Mais en fait, sa composition remonterait au milieu du siècle des Lumières. Il est probable qu'une plume lettrée mais anonyme composa, sur un air connu au Théâtre de la Foire, ces paroles fort adroits à double sens, bien dans les grâces de l'époque libertine de Louis XV.
Les travaux historiques récents de Robert Darnton nous ont appris à déchiffrer l'expression argotique du langage animalier félin du siècle des Philosophes. Or, que raconte la chanson? La mort d'un chaton, battu par la bergère; celle-ci le punit pour avoir désobéi en mettant son menton dans le fromage. Le sens de la chanson s'éclaircira quand on aura précisé que des expressions telles que « laisser le chat aller au fromage » ou « le chat a mangé le fromage » étaient synonymes de perte du pucelage.
D'ailleurs, si l'on remonte jusqu'à l'époque de la Renaissance, on peut en trouver une chanson originale beaucoup moins innocente dans Sensuyt plusieurs belles chansons nouvelles et fort joyeuses, publié chez Alain Lotriant, à Paris, en 1543. On y raconte explicitement la perte du pucelage d'une jeune fille.
Après la Révolution, et en pleine vogue de la romance, les chansons populaires d'Ancien Régime apparurent un peu désuètes. C'est alors que Dumersan récupéra un certain nombre de ces airs pour en refaire des chansons enfantines. Il en modifia parfois les paroles, changeant un mot ici, retirant un couplet là. Il était une bergère fut ainsi travestie en une ronde enfantine.
Quoi qu'il en soit, cette chanson à double sens se présente à nos yeux comme un miroir reflétant une culutre et une mentalité populaires françaises comme la perte du pucelage, ou bien les brutalités envers les chats considérés en Occident comme un animal maléfique et de mauvais augure, associés à la Sorcière.

D'après : Masaaki Yoshida,
Sensuyt plusieurs belles chansons nouvelles et fort joyeuses par Alain Lotriant - Paris, 1543,
Chansons populaires du Nivernais et du Morvan tome 4 p.149 de A. Millien
Dictionnaire érotique moderne par Alfred Delvau, et Le Livre des Chansons de France de Roland Sabatier.