Je cherche fortune

Aristide Bruant



Harmonisation : Robert Ledent
Mp3 : Chorale de l'ULB 
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1. Chez l' boulanger (bis)
Fais-moi crédit (bis)
J' n'ai plus d'argent, (bis)
J' paierai sam'di (bis)
Si tu n' veux pas (bis)
M' donner du pain (bis)
J' te cass' la gueule (bis)
Dans ton pétrin (bis)


Non, c'est pas moi, c'est ma soeur
Qu'a cassé la machine à vapeur
[Qu'a foutu la vérole au facteur]
Ta gueule (ter)


Je cherche fortune!
Autour du Chat Noir
Au clair de la lune
A Montmartre, le soir

 

2. Chez l' marchand d' frites ...
... M' donner des frites
J' te cass' la gueule
Dans tes marmites

3. Chez l' cabar'tier ...
... M' donner à boire
J' te cass' la gueule
Sur ton comptoir

4. Marchand d' tabac ...
... M' donner des sèches
J' fais dans ta gueule
Un' large brèche

5. Chez la putain ...
... Baiser à l'oeil
J' te cass' la gueule
Dans ton fauteuil

6. Chez l'autr' putain ...
... M' prêter ton con
J' te bouff' le cul
Et les nichons

7. Chez l'aubergiste ...
... M' donner un' chambre
J' te cass' la gueule
Et les cinq membres

8. Chez l' chirurgien ...
... Soigner mon p'tit
J' t'enfonc' dans l' cul
Ton bistouri

9. Chez l' pharmacien ...
... M' donner d' potion
J' te cass' la gueule
Dans tes flacons

10. Chez M'sieur l' curé ...
... Nous mari-er
J' te cass' la gueule
Dans l' bénitier




Au carnaval de Dunkerque, on chante:

La cabaretière fais nous crédit,
On te paiera tous à samedi
Si tu veux pas, m' donner à boire,
On va t' choler dans ton comptoir
A la piqûre, tout l'monde l'endure
Le plus veinard c'est co pinard
Qu'il se couche tôt, qu'il se couche tard,
Il boit toujours son verre d' pinard.

Je cherche fortune, tel que nous le chantons, est manifestement un assemblage de trois chansons différentes: les couplets d'une part, l'interlude d'autre part et pour terminer le refrain; en effet seuls quatre vers (Je cherche fortune...) sont empruntés à la chanson Le Chat Noir d'Aristide Bruant (1884); dans celle-ci ils sont répétés deux fois.

Deux illustrations ci-dessous :
 - d'une part, dû à Steinlen, le "logo" du Chat Noir devenu celui du cabaret fondé par Rodolphe Salis fin du XVIIIe siècle;
 - d'autre part, par Toulouse-Lautrec une célèbre affiche d'Aristide Bruant qui fut une figure particulièrement marquante de ce cabaret.

espace cabaret espace
Logo
espace bruant espace
Affiche

A l'époque, le "Caveau du Chat Noir", premier cabaret de Pigalle, situé au pied de la butte Montmartre dans le 18ème arrondissement de Paris, était une sorte d'académie : on y récitait du Jean Richepin, de l'Haraucourt, du Rollinat etc., Des aristos, de grands bourgeois y croisaient des "horizontales", Hugo, Aristide Bruant, Boris Vian, Gréco, Patachou, Michel Simon, Gainsbourg... de grands noms vinrent y boire de l'absinthe, réciter des poésies ou chanter leurs compositions. Le théâtre d'ombres y a été créé, qui devait assurer sa fortune ; on y jouait des pièces. C'était le berceau et la rampe de lancement de presque tous ces artistes de grande renommée.

A titre d'information, voici paroles et musique du Chat Noir de Bruant ainsi qu'un extrait en mp3 de son enregistrement original .

L'air chanté actuellement n'a, à l'exception du refrain, rien à voir avec celui du Chat Noir. Pour celui-ci, Bruant a emprunté la mélodie à l'hymne Occitan Aquelas Montanhas, mieux connu sous le titre Se canta. De 3 temps il l'a adapté en 4 temps.

En voici deux interprétations.

La première, en occitan normalisé.
La seconde est interprétée par Andre Dassary originaire de Biarritz en pays basque qui la chante en occitan de Biarritz.

Ci-après le texte, dans sa version normalisée, celle de Biarritz, ainsi que sa traduction en français.

Occitan normalisé
Repic :
Se canta, que cante !
Canta pas per ieu,
Canta per ma mia
Qu'es al luènh de ieu.


1. Dejós ma fenèstra
I a un aucelon
Tota la nuèch canta
Canta sa cançon.

2. Aquelas montanhas
Que tan nautas son
M'enpàchan de veire
Mas amors ont son

3. Baissatz-vos montanhas !
Planas levatz-vos !
Per que pòsqu veire
Mas amors ont son.

4. Aquelas montanhas
Tan s'abaissaràn
E mas amoretas
Se raprocharàn.

Occitan de Biarritz
Repic :
Se canto, que canto
Canto pas per yo
Canto per ma mio
Qu´es al lent de you


1. Devath ma finèstro
Ya un auselon
Touto la noeit canto
Canto sa canson

2. Aqueros montagnos
Qué tan aoutos sount,
M´empatchon de bésé
Mas amous oun sount.

3. Baïssas bous mountagnos
Planos aoussas bous!
Perque posqui bésé
Mas amous oun sount.

4. Aqueros montanhos
Tan s’abaicharàn
E mas amuretos
Que raprucharàn

Français
Refrain :
S'il chante, que chante-t'il ?
Il ne chante pas pour moi
Il chante pour ma mie
Qui est loin de moi.


1. Sous ma fenêtre
Il y a un oiselet
Toute la nuit il chante,
Chante sa chanson.

2. Ces montagnes
Qui sont si hautes,
M'empêchent de voir
Où sont mes amours.

3. Baissez-vous, montagnes,
Plaines, dressez-vous,
Pour que je puisse voir
Où sont mes amours.

4. Ces montagnes
S'abaisseront bientôt,
Et mes amours
Se rapprocheront.

Ce chant est attribué à Gaston Phébus (1331-1391); il n'y a pas d'usage réglementé en tant qu'hymne. On le chante souvent à l'occasion de matchs de rugby et il a été utilisé quasi officiellement lors des Jeux Olympiques de 2006 à Turin pour montrer un attachement à l'Occitanie.






Alphonse du Gros Caillou

Paroles: Hyppolyte Lacombe




Harmonisation : Robert Ledent
MP3 : Chorale de l'ULB 
Voir la partition

1. J' m'appell' Alphons', j' n'ai pas d' nom de famille,
Parc' que mon pèr' n'en avait pas non plus,
Quant à ma mèr', c'était un' pauvre fille
Qui était née de parents inconnus.
On l'appelait Thérès', pas davantage,
Quoiqu' non mariés, c'étaient d'heureux époux;
Et l'on disait quel beau petit ménage,
Que le ménage Alphons' du Gros Caillou!

2. Après trois ans, ils eur'nt enfin la chance,
Vu leur conduit', leurs bons antécédents,
D' pouvoir ouvrir un' maison d' tolérance
Et surtout cell' d'avoir eu quatre enfants.
Sur quatre enfants, Dieu leur donna trois filles
Qui ont servi dès qu'ell's ont pu chez nous;
C'est que c'était une honnête famille,
Que la famille Alphons' du Gros Caillou!

3. Tout prospéra, mes soeurs aidant ma mère
Car elles eur'nt vite fait leur chemin;
Moi-même aussi, et quelquefois mon père
S'il le fallait, nous y prêtions la main.
La clientèle était assez gentille,
Car elle avait grande confiance en nous;
Ils s'en allaient disant; quelle famille,
Que la famille Alphons' du Gros Caillou!

4. Moi j' travaillais dans la magistrature,
Le haut clergé, les gros officiants,
J'avais pour ça l'appui d' la préfecture
Où je comptais aussi quelques clients.
J'étais si beau qu'on m' prenait pour un' fille,
Tant j'étais tendre et caressant et doux
Aussi j'étais l'orgueil de la famille,
De la famille Alphons' du Gros Caillou!

5. Y avait des jours, fallait être solide,
Et le quinze août, fête de l'Empereur,
C'était chez nous tout rempli d'invalides,
De pontonniers, d' cuirassiers, d'artilleurs.
Car ce jour-là, le militair' godille
Et tous ces gens sortaient contents d' chez nous;
Ils se disaient quelle belle famille,
Que la famille Alphons' du Gros Caillou!

6. Au-dehors nous comptions quelques pratiques
Ma mèr' servait les Dam's du Sacré Coeur,
Mes soeurs servaient Madam' de Metternich,
Mon pèr' servait la Maison de l'Emp'reur.
La clientèle était assez gentille,
Puis on avait grande confiance en nous
Et l'on disait: "Quelle sainte famille
Que la famille Alphons' du Gros Caillou"

7. Maint'nant ma mèr' s'est r'tirée des affaires,
Moi j' continue mais c'est en amateur;
Mes soeurs ont tout's épousé des notaires
Mon père est membr' de la Légion d'Honneur,
De notr' vertu la récompense brille
Et si notr' sort a pu fair' des jaloux,
On dit tout d' mêm' c'est un' belle famille,
Que la famille Alphons' du Gros Caillou!



Alphonse, en argot, désignait un homme entretenu par une femme, sans en être nécessairement le souteneur.

La chanson originale comporte 6 couplets.
Après les 3 premiers, on découvre le quatrième couplet assez différent :

Hors de chez nous, nous avions des pratiques
Mon père faisait les dames du Sacré Cœur,
La Paiva, madame...et toute sa clique;
Ma mère faisait toute la maison de l'Empereur
La clientèle était assez gentille
Puis elle avait grande confiance en nous,
C'est que nous étions une bien douce famille
Dans la famille d'Alphonse du Gros-Caillou.


La chansons se termine par les couplets 5 et 7.
Elle fit, en 1888, l'objet d'un procès qui contribua au succès

Le texte écrit par Hippolyte Lacombe (1821-1889) était au départ un de ses monologues et a été publié dans Monologues en 1888. Cela explique que le texte n'était, à l'origine, destiné à être déclamé et non chanté. Ce n'est que par la suite qu'il fut mis en musique.
Originaire de Rouen, Lacombe était un acteur comique qui s'est produit dans presque tous les théâtres parisiens et fut également régisseur.

L'intermédiaire des chercheurs et curieux vol.LXXIII

Le Gros-Caillou désignait un rocher qui symbolisait la frontière entre les terres de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés et celles de Sainte-Geneviève qui se partageaient la plaine de Grenelle.
Le Gros-Caillou fut démoli en 1738 lors des travaux de construction de l'Hôtel Royal des Invalides. Néanmoins son nom a survécu et servit d'enseigne à une maison close.

Le timbre des 6 premiers vers est très proche de celui du Grand métingue; pour les deux derniers vers, l'air est celui du Pendu (de Saint Germain).







La brave fille des abattoirs



MP3 : Bourvil 

1. Dans la fumée des faubourgs populaires
Où ça sent fort la sueur et la misère
Les ouvriers répondent à l'appel
Des mill' sirèn's qui sifflent dans le ciel;
Mais la plus bell' de toutes ces sirènes
C'est un' brav' fille, à la mine sereine
Et chaque soir elle est le réconfort
Des louchebems, des chétifs comm' les forts
Le regard pur et le front innocent
Elle a les mains tout' couvertes de sang...


C'est la brav' fill' des abattoirs
A la Vilette il faut la voir,
Assister au dernier supplice
Des pauv' taureaux, des pauv' génisses
Au porc qui souffre avant l' saloir
Elle apporte un suprême espoir
Viande à saucisse,
Pour qu' les riches
Ils s' l'emplissent.


2. Elle aim' les homm's avec de bell's bacchantes,
Ell' se nourrit que de viande saignante,
Pas de poisson, jamais de maquereau,
Car ell' sait bien qu'ils ne sont pas loyaux
Au grand Mimil' qu'en saignait cent à l'heure,
Ell' dit un jour "T'as l'air d'un grand seigneur"
Sur un étal il voulut la coucher
En lui disant "C'est un prix de boucher"
Tout d' suite après comm' dans un grand frisson
Cert's un peu tard, elle lui répondit "Non"...

3. Mais un beau soir, là bas, près d' la Villette,
Ell' trouve Mimile avec une autr' brunette
Alors dans l'ombr', se faufilant sans bruit,
Ell' lui assène un grand coup de fusil
Ell' prend sa revanche et Mimil' s'affaisse
Et puis Tata s'exclame vengeresse
Tu m' l'as broyé mon p'tit coeur de vingt ans,
Je vais t'arracher le tien maintenant
Tout en roulant par dessus les fortifs,
Le coeur de Mimil' gémissait plaintif...

C'est la brav' fill' des abattoirs.
Dans un rictus il faut la voir
Ricaner d'un p'tit coeur qui glisse
Elle est plus vach' qu'une génisse
Voilà comment ell' laissa choir
Le coeur de Mimil' su' l' trottoir
Moralité: Faut qu' ça finisse
Plus d'alcool,
Plus de vices




Note: Louchébem = boucher en argot des ... bouchers ! Cet argot consiste à remplacer la première lettre par un "L" et la reporter à la fin du mot; autre exemple: filer en lousedé = filer en douce ou bien encore louf, loufoque = fou.

Cette chanson a été interprétée par André Raimbourg, dit Bourvil qui en a écrit paroles et musique.






La fleur des fortifs

Paroles : Georgius - Musique: J.Lenoir


MP3 : Georgius 

1. Entre Malakoff et Saint-Ouen
Y avait une pauvre bicoque
Ousqu' habitait un' fill' de rien
Mais qu'avait des allur's équivoques
La malheureuse avait seize ans
Elle n'avait plus ses père et mère
Et pour manger conv'nablement
Ell' vendait des fleurs au cim'tière
Et puis l' soir ell' vendait son corps
Pour s'ach'ter un' côt'lette de porc

On l'appelait Fleur des Fortifs
A caus' qu'elle avait l'air chétif
Elle avait l'oeil rébarbatif
Et f'sait l'amour en collectif
Quand on pense à tous ces oisifs
Qu'ont des bagu's et des pendentifs,
Y' a de quoi s'arracher les tifs
Y' a pas d'autr' qualificatif

Tif, tif

2. Un soir près de l'usine à gaz
Elle rêvait de mille tendresses
Avec un gars qui fait du jazz
Et qui f'rait vibrer la caisse
Elle aperçut un vieux vieillard
- Les vieillards ne sont jamais jeunes -
Qui la suivait dans le brouillard
A l'heure ousque les rich's déjeunent
Que voulez-vous qu'ell' lui criât?
Le vieux vieillard lui dit comm' çà:

"On t'appelle Fleur des Fortifs
Fais un arrêt facultatif
Nous allons prendr' l'apéritif
Je le paierai, je n' suis pas juif
J' suis vieux, mais je suis sensitif
Je rêv' d'un p'tit lascif
Si tu m' fais du superlatif
Je te paierai double tarif"

Tif, tif

3. Mais elle poussa de grands cris
En reconnaissant son grand-père
Arrièr' cochonnet, qu'ell' lui dit,
Et il fit cinq six bonds en arrière
Et dans un sursaut de dégoût
Il s'étrangla avec sa barbe
Et se j'ta son corps dans l'égout
Tandis qu'ell' s' pendait à un arbre.
Comme quoi y a toujours de l'honneur
Ousqu'il y a du sens et du coeur

On l'appelait Fleur des Fortifs
Ell' repose sous un massif
De rhododendrons maladifs
Où l' rossignol chante pensif
"C'est l'Etat le grand responsif
Qui laiss' les fill's vendr' leur rosbif"
Et le merle répond plaintif :
"Tout çà c'est bien emmerlatif !"

Tif, tif



La chanson date de 1930 : ci-dessus, un extrait de l'enregistrement par l'auteur, Georgius.

"Fortifs" désigne les anciennes fortifications qui protégeaient la ville de Paris; des quartiers périphériques généralement fort pauvres.






La tête d'Arthur

air: La pièce trouée


1. Un cocher prom'nait en voiture,
Sur le boul'vard, un beau matin,
Un' dame et ce cochon d'Arthur ;
Ils faisaient l'amour en sapin !
Le cocher, intrigué sans doute,
De voir ainsi les stores baissés
Par la lucarne, en cours de route
R'garda, et s'mit à rigoler.
Elle suçait la pin' d'Arthur
Dans la voiture
} (bis)

2. Il appela vite un confrère,
Qui s'mit aussi à rigoler,
Un agent, les voyant faire,
Voulut à son tour reluquer.
Les deux amoureux, bien tranquilles,
S' caressaient sans s' douter de rien,
Quand tout à coup, l' sergent d' ville
Ouvr' la porte et gueule soudain :
Ah ! Vous sucez la pin' d'Arthur
Dans la voiture
} (bis)

3. Les bourgeois, voyant la police,
Ouvrir le sapin brusquement,
Accourur'nt au moment propice,
Pour contempler les deux amants.
Or justement l' mari d'la dame,
Voyant sa moitié qu'on emm'nait
Gueula, le désespoir dans l'âme :
Mais dit's moi donc ce qu'elle a fait ?
Elle a sucé la pin' d'Arthur
Dans la voiture
} (bis)

4. Or ce monsieur était un juge,
Et s' voyant ainsi cocufié,
Pour éviter tout le grabuge,
Arthur fut de suit' relâché.
Un chansonnier vit l'aventure,
Et la mit en vers à l'instant,
L'intitula ? La ... têt' d'Arthur,
Et puis s'en alla en chantant :
Elle a sucé la pin' d'Arthur
Dans la voiture
} (bis)

5. Et maintenant, je me rappelle,
Qu' Arthur était un étudiant,
Et que lui, ainsi que sa belle,
N'ont plus l' gout d' l'amour ambulant,
Aujourd'hui à chaque guindaille
Lorsque chacun a bien soiffé,
Quand on réclame un r'frain canaille,
Les étudiants s'mettent à chanter :
Elle a sucé la pin' d'Arthur
Dans la voiture
} (bis)



La chanson figure dès la première édition des Fleurs du Mâle (1922) et est reprise dans les rééditions ultérieures jusqu'en 1946. A l'heure actuelle, on la retrouve encore dans le Bitu magnifique.

Nous n'avons malheureusement pas trouvé trace de l'air: La pièce trouée.






Héloïse et Abélard

Paroles et musique: Xanrof



Harmonisation : Robert Ledent 
Voir la partition 

1. Peuples de Navarre et de France
Des Batignoll's et du Jura
Oyez cette triste romance!

Héloïse et Abélard
Aïe, aïe ma mère!
Aïe, aïe papa!


2. C'est l'horrible mésaventure
Qu'eut, il y a quelque temps de çà
Un professeur d' littérature

3. De ses élèv's, nous dit l'histoire,
Abélard, il s'app'lait comm' çà,
Fatiguait beaucoup la mémoire

4. Le chanoine de Saint-Sulpice
Comm' répétiteur le donna
A sa petit' fille Héloïse

5. Le tuteur de la demoiselle
Lui avait inculqué déjà
Plus d'un' leçon superficielle

6. Mais çà n'manqua pas d' la surprendre
Quand l'bel Abélard lui donna
Un très long morceau à apprendre

7. Ne pouvant s' l'entrer dans la tête
La pauvr' petit' se dépita
Et s' mit à pleurer comme un' bête

8. Abélard lui disait: "Patience
Votre intelligenc' s'ouvrira"
Ell' n'y mettait pas d'complaisance

9. Mais le tuteur, comm' dans un drame
Un soir chez Abélard entra
Pour lui raccourcir son programme

10. Mais dans son ardeur criminelle,
Au lieu d'élaguer, il trancha
La partie la plus essentielle.

11. Depuis cet acte attentatoire
Jamais Abélard ne r'trouva
Le fil perdu de son histoire

12. Quoiqu'ayant pris goût aux préludes,
Héloïse, à cinquante ans d' là,
Mourut sans finir ses études.



héloise

La chanson est dédicacée à Jeanne Granier, mais a également fait partie du répertoire d'Yvette Guilbert, l'interprète favorite de Xanrof.

Publiée en 1890 par J. Ondet dans Chansons parisiennes, elle est également reprise dans le n°13 de Les Chansons illustrées.
Le texte est quasiment identique; seul aïe, aïe est remplacé par oï aï !


Pourtant, la chanson ou tout au moins son texte devait déjà préexister. En effet dans Chansons populaires de France, recueillies par G. Richard publié en 1867 on trouve:



1. Ecoutez, sexe aimable,
Le récit lamentable
D'un fait très-véritable
Qu'on lit dans saint Bernard.
Le docteur Abeilard,
Maître dans plus d'un art,
Précepteur de fillette,
Soupirait en cachette
Pour la nièce discrète
Du chanoine Fulbert.

2. Sous le même couvert
Logeait le galant vert;
Son latin avec zèle.
Il montrait à la belle,
Et l'on dit qu'auprès d'elle,
ll ne le perdait pas.
Mais un beau jour, hélas !
Donnant leçon tout bas,
Fulbert, avec main forte,
Vint frapper à la porte,
Entouré d'une escorte
Nombreuse et sans pitié.

3. Abeilard, effrayé,
Et mourant à moitié ,
Quand on vint le surprendre,
Lui faisait bien comprendre
Un passage assez tendre
Du savant art dd'aimer.
Il voulut s'exprimer,
Mais, sans trop s'informer,
L'abbé, prenant le drôle,
Lui coupa la parole,
Et le maître d'école
Par force resta court.

4. Dans ce funeste jour
On vit pleurer l'Amour.
Sans jeter feu ni flamme,
Refroidi pour sa dame,
Abeilard, en bonne âme,
A Saint·Denis s'en fut.
De Satan à l'affût,
ll trompa mieux le but
Que défunt saint Antoine,
Car la main du chanoine
De l'ennemi du moine
L'avait mis à couvert.

5. Voyant tout découvert,
Loin de l'oncle Fulbert,
La dévote Héloïse
Qu'on avait compromise,
S'en fut droit à l'église
Du couvent d'Argenteuil.
On lui fit bon accueil ;
Avec la larme à l'œil,
Chaque sœur se récrie
Sur la main en furie
Qui tranche pour la vie
Le fil de ses amours.

6. Craignant les sots discours,
La belle pour toujours
Quitta ce domicile.
Abeilard, plus tranquille,
Lui fit don d'un asile,
Non loin de son couvent.
Héloise, en pleurant ,
Le mit au monument, ...
Elle eut mieux fait d'en rire,
Car avant qu'il expire,
Elle pouvait bien dire :
"Ici gît mon amant."

La fin de l'histoire est moins dramatique mais la raison en est peut-être dû à la censure qui régnait à l'époque.

À remarquer la structure anormale du premier couplet qui ne comporte que 10 vers (3+3+3+1) alors que tous les autres en possèdent 12 (2+3+3+3+1). Comme le dernier vers de chaque couplet rime avec les deux premiers du suivant, n'aurait-il pas été plus logique de décomposer en 5 couplets de 12 vers et un dernier de 10 vers ?