Pourquoi encore un site de chansons paillardes ? Il y en a déjà tellement !
Effectivement, il n'est guère difficile de construire un site de chansons paillardes: un moteur de recherche détectera facilement des centaines de sites. Il suffit alors de choisir les plus importants et, après une séance de copier/coller et une uniformisation de la présentation, le tour est joué.
Hélas, cela n'apporte aucune valeur ajoutée et, de plus, c'est ainsi que les erreurs se propagent.
Le site de la Chorale de l'ULB existe depuis près de vingt ans. Il a fait l'objet de nombreuses copies; certaines sont parfaitement correctes et mentionnent leur source, d'autres le sont moins (!) mais elles sont aisément identifiables par leur contenu et grâce (?) aux coquilles qui entachaient notre site !
Nous avons donc choisi d'opter pour une remise à jour complète de notre ancien site.
(*) au cas où il n'en serait pas ainsi, prière de nous le signaler.
D'aucuns font parfois la fine bouche devant les chansons paillardes ou grivoises.
Pourtant, ils oublient que ce sont pratiquement les seuls témoignages chantés musicaux de la fin du Moyen âge qui nous sont parvenus.
En effet, si nous avons une bonne connaissance de la musique sacrée, c'est grâce à la présence de moines qui, pour occuper leurs temps libres, en recopiaient soigneusement textes et partitions.
De même, la musique de cour nous a été transmise. La noblesse pouvait se payer le luxe d'impression de livres et surtout des partitions dont le coût était bien plus élevé.
Il reste la musique populaire mais, heureusement, la tradition orale nous en a laissé une connaissance partielle et ce, principalement par des chansons paillardes.
N'oublions pas que la plupart des chansons aujourd'hui enfantines sont en fait des chansons paillardes fort anciennes. Le sens de certaines expressions (p.ex. "battre le briquet" dans Au clair de la lune, "laisser le chat aller au fromage" dans Il était une bergère) a changé au fil des siècles. Quand ce n'est pas le cas, on a tout simplement remplacé le couplet par un autre plus "soft".
Voila pourquoi une étude historique de la chanson paillarde présente un intérêt évident. Toutefois, n'étant pas historien, nous nous sommes bornés à relever, pour autant que ce fût possible, les origines de nos chansons paillardes actuelles.
La transmission de ce type de chansons est restée fort longtemps essentiellement orale.
On rapporte des chansons que nous qualifierons de paillardes dans des textes de l'antiquité grecque et romaine.
En ce qui concerne de telles chansons en langue française, on a pu en dater avec certitude quelques-unes antérieures au XVe siècle.
Pourtant, ce n'est qu'après l'invention de l'imprimerie que nous trouvons des informations plus précises. Les premières traces que nous avons découvertes datent de la Renaissance avec, en particulier, des poèmes de Clément Marot, Pierre Ronsard, ...
Dans un ouvrage de 1543 La fleur de la poésie francoyse : recueil joyeux contenant plusieurs huitains, dixains, quatrains, chansons et aultres dictez de diverses matières,... on trouve entre autres quelques chansons qui, au langage près, ne dépareraient pas dans un bréviaire de chansons paillardes, telles (*):
Hélas, dans cet ouvrage ainsi que dans ceux qui l'ont suivi, on ne retrouve que très rarement la mélodie. La raison en est fort simple: l'impression d'une partie musicale était, et est restée jusqu'il y a peu, bien plus compliquée et par voie de conséquence, plus onéreuse que celle d'un texte.
Mis à part l'Odhecaton de Petrucci publié à Venise en 1501, seuls, parmi les ouvrages anciens du XVIe et XVIIe siècle consultés, Le recueil des plus belles et excellentes chansons en forme de voix de ville de 1576 ainsi que le Recueil des plus beaux airs accompagnes de chansons à dancer, ballets, chansons folatres et bachanales et le Recueil des plus belles chansons de dances de ce temps publiés tous deux en 1615 donnent les partitions musicales.
Voici, tiré du recueil de 1576, Madame Perrette où nous trouvons l'air original ; il s'agit manifestement de la chanson qui est à l'origine de Et autre chose itou.
Du recueil de 1615, nous extrayons: Il estoit une fillette (godinette) dont voici la mélodie . Le texte montre à l'évidence que c'est l'ancêtre de La caille ainsi que de toutes les chansons construites sur le thème de "l'occasion manquée".
Toutes ces partitions sont écrites, comme c'était l'usage à l'époque, non mesurées, c'est-à-dire sans barres de mesure.
Certaines mélodies nous ont heureusement été transmises car elles avaient bénéficié d'arrangement par des musiciens devenus célèbres.
Citons les chansons: Il estoit une fillette ainsi que Alix et Martin(*), qui ont été mises en musique par Clément Janequin (chanoine puis chapelain) ou bien encore Une fille bien gorriere harmonisée par Jacobus Clemens non papa (prêtre à Bruges).
N'oublions pas qu'à l'époque, le fils aîné prolongeait la lignée alors que le fils puiné était destiné à entrer dans les ordres, mais ce n'était donc pas souvent par vocation ! Dès lors, il ne faut pas s'étonner que bien des auteurs, poètes ou compositeurs, aient été des ecclésiastiques. Les auteurs de ces chansons ne sont que rarement mentionnés, mais on y retrouve de nombreux poètes célèbres tels Clément Marot, Pierre Ronsard, etc.
(*)Cette chanson se retrouve aux prénoms près (Alix et Martin sont devenus Margot et Robin) dans les œuvres de Clément Marot, épigramme XXVII sous le titre "La mort de Margot". Par la suite Mathurin Régnier a également écrit une épigramme intitulée "Lisette tuée par Robin" qui s'en inspire.
Au début du XVIIe, deux ouvrages paraissent à peu d'intervalle. Le premier en 1607, intitulé Airs de Cour comprenant le trésor des trésors... , le second en 1614, La Fleur de toutes les plus belles chansons qui se chantent maintenant en France... . Ces deux recueils de textes, sans partition musicale hélas, sont très proches et rassemblent, sur plus de 400 pages chacun, environ 200 chansons.
Parmi les chansons reprises mentionnons:
La chanson A frère Jean Tibaut est bien intéressante. C'est un exemple de chanson où la fin attendue n'est pas toujours celle qu'on croit.
Ce style, qu'on attribue généralement aux comiques troupiers du début du XXe siècle, remonte donc au moins au XVIIe. Il se retrouve dans des chansons telles La jeune fille du métro, Les trente brigands, Madeleine, ...
D'autres chansons de cette époque ont survécu et se retrouvent presque inchangées à l'heure actuelle. Par exemple:
Terminons par un mot à propos des mélodies.
Comme dit plus haut, nous n'avons que fort peu de documents nous permettant de retrouver les timbres originaux. La transmission orale a conduit à de nombreuses mutations; ces différences sont les plus flagrantes lorsqu'on compare la mélodie chantée à 6.000 km de chez nous, au Canada, à celle qui nous est familière, entonnée en France.
Même entre pays frontaliers, tels France et Belgique, en moins d'un siècle, on constate de nombreuses déformations qui vont évidemment toujours dans le sens d'une simplification. Il suffit de comparer la mélodie du Cordonnier Pamphile chantée en France et celle entonnée en Belgique, simplifiée et lassante au point que cette chanson n'est pratiquement plus chantée sur son air original. De même, dans Les quatre jouissances, l'envolée lyrique de la femme "qui entend son cul qui chante" a été, hélas, simplifiée chez nous.
Heureusement, nous disposons à l'heure actuelle de médias qui permettent de retrouver les mélodies telles qu'elles étaient chantées auparavant; au XIXe siècle, grâce aux progrès de la gravure et de l'imprimerie, au XXe suite à l'apparition de supports plus directs, le disque, cire puis vinyle, la cassette audio et aujourd'hui les CD et DVD.
A ce propos, il est curieux de voir l'évolution qu'a suivie l'histoire vis-à-vis des paillardes.
Au XVIe siècle, c'est la naissance de l'imprimerie. On publie enfin des poèmes et chansons grivoises. Auparavant, les manuscrits étaient généralement l'œuvre de moines et on comprend bien que ce genre de poèmes ne faisait pas partie de leurs priorités.
Les recueils de chansons, de poèmes grivois ou libertins paraissaient sans entrave souvent avec "privilège du Roy" !
Tout se passe bien, mais une première tension surgit au début du XVIIe. Les ouvrages commencent à être contrôlés et on assiste alors une "délocalisation" vers La Haye, Cologne, Gand, ... Par la suite, la tolérance revient, mais la censure resurgit aux premiers vacillements de la monarchie. On va jusqu'à traverser la Manche pour publier à Londres !
La révolution supprime la censure, mais cela ne dure pas longtemps; elle est rétablie pas Napoléon. Suite aux nombreux changements de régime, la tension reste grande en France. L'époque, qui semble avoir été la plus dure, semble être celle partant de la fin du XIXe siècle jusqu'au deuxième tiers du XXe siècle.
En 1866, la censure est devenue très active; le "Nouveau Parnasse satyrique" (suite du "Parnasse satyrique" publié par Poulet-Malassis à Bruxelles en 1863) est également imprimé à Bruxelles et affiche comme éditeur: Eleuthéropolis et ajoute "aux devantures des libraires, ailleurs, dans leurs arrière boutiques".
Peu après, en 1873, paraît un ouvrage intitulé "Les poésies de Th. Gautier qui ne figureront pas dans ses œuvres"; la source, éditeur-imprimeur, est notée: "France - Imprimerie particulière". On peut lire dans l'avant-propos: "On a, de tout temps, publié et colporté des livres sous le manteau romans érotiques, mémoires indiscrets, pamphlets à outrance. Souvent, quelques-uns de ces ouvrages s'imprimaient au nez et à la barbe du gouvernement français, malgré l'indication d'Amsterdam, de Genève ou de Constantinople, apposée sur le titre. Longue est la liste des auteurs et des éditeurs qui ont tâté de la Bastille."
On ne trouve plus guère d'ouvrages publiés en France et contenant des chansons ou poèmes grivois, mais il est difficile de croire que la source était tarie. On tente d'y revenir d'une manière détournée en publiant de très nombreux recueils de chansons populaires des diverses régions de la France où l'on retrouve fatalement quelques chansons qui n'auraient pas pu être publiées isolément !
Cette situation perdurera une cinquantaine d'années et ce n'est qu'en 1911 que paraît l'Anthologie hospitalière et latinesque le premier recueil de chansons paillardes; il était en vente "Chez Bichat-Porte-à-droite" (sic)
Il faut encore laisser passer la première guerre mondiale pour voir paraître en Belgique un recueil analogue, mais plus succinct, intitulé "Les Fleurs du Mâle"
Quoi qu'il en soit, ces ouvrages étaient "hors commerce"
Petit à petit, paraissent des recueils de chansons qualifiées de gaillardes, d'internat, paillardes, de salles de garde, d'étudiants, de carabin,...mais toujours hors commerce.
Parallèlement, naît le phonographe suivi du gramophone et les disques. Il faut attendre la fin de la deuxième guerre pour voir enfin paraître des disques de chansons paillardes, d'abord en 78 tours, puis avec la naissance du "long-playing", de 33 tours. La célèbre série des 10 Tonus du "Plaisir des Dieux" paraît en 1957; lors d'une réédition 3 nouveaux albums viennent s'y ajouter. Mais... ces disques sont toujours "hors commerce" et "réservés aux membres du Corps Médical".
De grands noms se mettent à enregistrer, tels Les frères Jacques, les Quatre Barbus, Colette Renard,... mais leurs disques ne sont toujours pas "dans les bacs".
A Bruxelles, la Chorale de l'ULB, dirigée par Robert Ledent, publie un 33t et, suite au succès, un deuxième puis un troisième, tous hors commerce ! En filtrant soigneusement les chansons, en remplaçant de temps à temps un mot par un autre, une version commerciale sort enfin; elle obtient un grand succès et est même exportée jusqu'aux États-Unis sous le titre "French Student Songs".
Après 1968, la censure s'assouplit enfin et les bréviaires et autres recueils ainsi que les disques paraissent enfin librement, mais encore avec l'inefficace (mais parfois efficace, du point de vue commercial) mention: "réservés aux adultes".
Un exemplaire illustré par Dubout et intitulé "Chansons de salles de garde" parait en 1971; à l'heure actuelle, il est encore régulièrement réédité.
En Belgique, berceau de la BD européenne, L-M. Carpentier, Jidéhem, Kox et Malik décident en 1989 d'adapter ensemble des chansons estudiantines traditionnelles (en France, chansons paillardes) en bandes dessinées. Ils seront bientôt rejoints par Laurent qui signait déjà les couleurs du premier volume, et publient un deuxième album, puis un troisième en 1992 ; le quatrième est sortie de presse il y a peu.
Étymologiquement, paillard dérive de paille, le paillard étant tout simplement celui qui couche sur la paille, tout simplement un gueux. En roman, palhardaria signifie pillerie; on voit ainsi le sens péjoratif qui est associé au terme paillard. Dans le dictionnaire du Moyen français (1330-1500), le paillard devient un misérable, un fripon, un vaurien et la paillarde une femme débauchée.
Le dictionnaire Godefroy (Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXème au XVème siècle) relève que paillard, paillart, ou bien encore palhart, pailhare désigne un gueux, un coquin; l'adjectif signifie également sale, méprisable. Par extension le substantif prend le sens d'amant pour un homme, et de concubine, pour une femme. A partir de XVIème siècle, une paillarde désigne plus généralement une prostituée.
La consultation d'un dictionnaire actuel nous apprend que paillard signifie:
Cette définition est un peu trop restrictive car elle exclurait des classiques du répertoire, tels que la Romance du 14 juillet, la Chanson du Roi Albert et bien d'autres qui font cependant partie intégrante de notre folklore.
En Belgique, on parle de chansons estudiantines, mais cette dénomination est inconnue en France.
Le premier recueil des chansons telles que nous les chantons date de 1911 et est intitulé Anthologie hospitalière et latinesque.
Le sous-titre "Recueil de Chansons de Salle de garde [...] entrelardées de Chansons du Quartier Latin ..." fait clairement référence à des chansons de carabins et aux chansons des étudiants de la Sorbonne.
Très souvent, ces chansons ont effectivement un caractère paillard mais elles débordent parfois de ce cadre.
Le contenu de ces chansons est fort variable, à tel point qu'il est quasi impossible de les classer.
Dans quelques recueils actuels, on constate des tentatives de classement, mais aucune n'est satisfaisante. Les sujets de ces chansons sont variés et cumulent souvent plusieurs thèmes.
A première vue, quelques sujets ressortent:
Pourtant une telle classification n'est guère satisfaisante. Nombreuses sont les chansons qui ressortissent à plusieurs des catégories citées. Par exemple, il est fréquent que les militaires boivent et recherchent une galante compagnie. A l'inverse, certaines ne trouvent pas place dans ce schéma. Où classer une chanson telle que "Le grand métingue du métropolitain" ? C'est l'exemple le plus frappant.
On peut toutefois constater que, dans la majorité de ces chansons, l'aspect grivois, plus ou moins explicite, est très souvent présent.
Il existe quelques thèmes fréquemment repris dans les chansons populaires: celui de "l'occasion manquée" qu'on trouve dans La Caille ou bien encore la "Fille soldat (ou marin)" comme dans Chantons pour passer le temps mais c'est insuffisant pour pouvoir en faire une classification thématique.
Dans les anciennes chansons des XVIe et XVIIe siècles, mis à part les moines et curés, ce sont essentiellement des personnages campagnards, là où la paillardise s'affichait sans honte, qui sont mis en scène. Qu'il s'agisse de Margoton, Colinette, Perette et de Colin, Robin ou Martin, on en parle très librement sans l'hypocrisie qui régnait dans la noblesse.
Du contenu des chansons paillardes, il ressort clairement que ce sont des chansons d'hommes seuls, militaires, curés, marins, moines et, jusqu'il y a une centaine d'années, médecins, étudiants.
Le fait est confirmé par les premiers interprètes dont les noms nous sont connus grâce aux disques: les comiques-troupiers, les Frères Jacques, les Quatre Barbus, des internes des salles de garde, des étudiants des Beaux-Arts, Mouloudji, Octave Callot, etc. Rares sont les femmes mais il faut toutefois en signaler quelques unes: Yvette Guilbert, Marie Dubas, Caroline Cler, Marie-Thérèse Orain et surtout Colette Renard qui a fait figure de prédécesseur(e) !
Une autre preuve, si besoin est : c'est parmi les joueurs de rugby qu'elles restent les plus vivantes, notamment lors de la troisième mi-temps !
L'accès des femmes à tous les secteurs, université, médecine, armée,... - à l'exception de statuts tels que curés ou moines ! - explique peut-être la récession qui est apparue dans les chansons paillardes. Pourtant, des groupes féminins - voire féministes - ont mis tout leur cœur à chanter et écrire de nouvelles chansons paillardes; malheureusement était-ce du cœur qu'il fallait y mettre, ou plutôt du c.. ?
Heureusement, ces dernières années, on constate une "renaissance" des chansons paillardes.
Georges Brassens en était grand amateur; il y fait de nombreuses allusions et il en a même réécrit quelques unes de fort belle manière.
Il y a peu, Pierre Perret a enregistré un CD. Le succès a été tel que l'année suivante, c'est un double album qui lui a succédé.